Elizabeth Ducottet dirige Thuasne, une ETI spécialisée dans les dispositifs médicaux orthopédiques, depuis trente ans. En tant qu’ancien coprésident et membre du conseil d’administration du Meti, elle œuvre également à la promotion et la reconnaissance de cette catégorie d’entreprises.
Vous êtes une des fondatrices du Mouvement des Entreprises de taille intermédiaire (Meti), comment est né ce projet ?
Le Meti était à l’origine une association fondée en 1995, qui regroupait des dirigeants d’entreprises autour d’une même idée de la transmission familiale. Y participaient notamment Yvon Gattaz, son fondateur et président, et bon nombre de dirigeants d’entreprises patrimoniales françaises. Ce mouvement a été ensuite transformé en un syndicat avec comme principal objectif de faire connaître les ETI et leur logique spécifique, bien différente des enjeux propres aux PME ou aux grands groupes. Nous travaillons à l’identification et à la mise en valeur du rôle des ETI dans la chaîne de valeurs de notre pays.
Quel regard portez-vous sur l’évolution de cette catégorie d’entreprise ? Est-ce que la France a rattrapé son retard ?
Même si les critères qui les définissent diffèrent un peu, en Allemagne ou en Italie, les sociétés de taille intermédiaire (Mittelstand), souvent familiales, sont traditionnellement reconnues et soutenues. En France, nous avons eu besoin de 12 ou 13 ans de travail pour faire reconnaître ce concept d’entreprise de taille intermédiaire. On dénombre aujourd’hui plus de 5 000 ETI françaises, ce qui constitue une belle évolution. Pour que les arbres poussent, il faut un terreau, et ce terreau a été considérablement amélioré par certaines mesures sur la fiscalité de la transmission ou les impôts de production.
C’est un mouvement qui a donné envie à des PME de grandir et d’accéder au statut d’ETI et il existe aujourd’hui davantage de chemins pour continuer à se développer, notamment grâce à des initiatives lancées par la BPI. Je suis convaincue qu’il est possible de parvenir à une croissance du nombre d’ETI.
Comment les ETI ont-elles fait face à la crise sanitaire ?
Nous avons constaté une constante, parmi nos adhérents, dans la façon dont ils abordaient les différentes étapes de la crise sanitaire. Les ETI ont été plus résilientes, parce qu’elles ont les yeux fixés sur le long terme, à la différence des grands groupes qui ont parfois le regard porté uniquement sur leur cotation en bourse.
Les ETI disposent aussi souvent de réserves, de fonds propres plus importants, qui ont été mis à contribution. Ces fonds propres font des ETI des entreprises plus solides face à la tempête. Il faut aussi souligner le rôle des collaborateurs, qui ont réalisé des efforts majeurs, se sont puissamment mobilisés, acceptant même de limiter leur salaire dans le cadre du chômage partiel, disposition mise en œuvre par l’État.
Et au sein de votre entreprise, Thuasne, comment l’avez-vous vécue ?
Nous avons eu une baisse d’activité de 60% du jour au lendemain, les pharmaciens, concentrés exclusivement sur l’épidémie, ne pouvaient accorder de temps à d’autres sujets ! Nous avons dû nous adapter, et nous avons évolué de la fabrication d’orthèses à celle de masques ! C’était une sorte de reconversion industrielle accélérée ! Beaucoup d’entreprises ont eu des flashs d’adaptabilité similaires. Je pense que la crise agit comme un révélateur des qualités intrinsèques d’une entreprise.
Nous avons également transformé notre organisation et notre façon de travailler, que ce soit au niveau de la digitalisation, du management, du télétravail, etc. Nous avons même réalisé l’acquisition d’une entreprise américaine à la suite d’une négociation entièrement réalisée par visioconférence !
Comment voyez-vous les prochaines années, pour les ETI ?
Nous allons voir revenir en force des axes méconnus voire déconsidérés par le grand public : les choix de proximité territoriale, d’intégration, de frugalité et de sécurité financière. On observe une vraie recrudescence de l’intérêt pour la production industrielle locale. Cela peut s’expliquer entre autres par la hausse des coûts de transport et la rareté des matières première asiatiques. Nous pourrions même assister à un processus de continentalisation des business models : l’Europe fabriquera à nouveau pour l’Europe, l’Asie pour l’Asie, etc. Il faut que nous soyons patients, car l’industrie d’un pays peut décroître rapidement, mais cela demande plusieurs années pour la reconstruire.