Depuis sa promulgation en mai 2019, la Loi PACTE (plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) invite les entreprises à s’interroger sur leur « raison d’être », voire de se transformer en « société à mission ». Un moyen pour elles de faire état des engagements sociaux comme environnementaux pris et à prendre dans le cadre de leurs activités. Décryptage de cette nouvelle ère d’entreprises engagées avec Corinne Thouvenin, Consultante en stratégie d’engagement, CEO de Betterment – Philanthropy Office, membre du comité exécutif de la Fondation RSM et Charlotte Bosc, Directrice communication et marketing chez RSM France.
À l’heure de la reprise économique, quel est l’intérêt pour une entreprise de se déclarer en tant que « société à mission » ?
Corinne Thouvenin : L’engagement des entreprises s’inscrit dans une démarche de prise de conscience globale des problématiques sociétales. Celle-ci a été intensifiée par la crise sanitaire et la période de questionnement que nous venons de vivre. La loi PACTE leur donne l’opportunité d’intégrer des enjeux d’intérêt collectif au sein de leur stratégie commerciale, ces enjeux prenant encore plus de sens aujourd’hui. Comme il n’y a aucun dispositif financier associé, ce type de démarche témoigne d’une réelle volonté de se positionner comme entreprise engagée dans le monde d’après, et de participer concrètement à l’effort collectif en période critique que l’on soit une petite, moyenne ou grosse entreprise.
Concrètement, comment devient-on « société à mission » ?
Corinne Thouvenin : La loi prévoit deux dispositifs totalement volontaires pour que l’entreprise puisse se référer à des valeurs ou à une mission sociale/environnementale dans toutes les orientations commerciales qu’elle prendra. Elle peut choisir de définir sa « raison d’être » et de l’inscrire dans ses statuts, rendant son application obligatoire. Elle peut également aller encore plus loin et se transformer en « société à mission » avec organes de suivi et de contrôle intégrés dans la gouvernance de la société. Dans les deux cas, le cheminement et la procédure de réflexion collective pour y arriver sont très importants : ils permettent de mettre en évidence un socle de valeurs et d’objectifs éthiques communs et propres à l’entreprise, qui préexistait forcément déjà. Le résultat doit être cohérent et aligné avec l’histoire même de l’entreprise car les dirigeants devront rendre des comptes sur son application et pourront voir leur responsabilité engagée s’ils prennent, au quotidien, des décisions contraires à la raison d’être ou à la mission ainsi définie(s).
Charlotte Bosc : Cela ne peut se faire sans avoir effectué au préalable un travail profond de définition de sa stratégie d’engagement, passée et future. La raison d’être sera communiquée à l’ensemble des parties prenantes qui travaillent en lien avec l’entreprise. De ce fait, elle formule et fige des engagements sociaux et/ou environnementaux concrets auxquels la société à mission doit prévoir d’associer des moyens humains et financiers à travers, entre autres, l’élaboration d’un plan d’action et d’une stratégie RSE.
En quoi cette tendance contribue-t-elle à donner du sens à l’entreprise ?
Corinne Thouvenin : Cela lui donne la possibilité de faire émerger une culture d’engagement qui lui est propre. Contrairement aux actions de mécénat ou aux engagements RSE (sources d’incitations fiscales liées au CIR ou à l’intérêt général dont la définition est très restreinte, souvent en partenariat avec des tiers du monde associatif) devenir entreprise à mission met la mesure d’impact social/sociétal et environnemental dans les objectifs du cœur business et immédiats de l’entreprise et ce, sur le long terme. C’est un parti pris dans l’ère du temps, qui fédère les collaborateurs, partenaires et dirigeants autour d’un projet collectif, porteur de valeurs communes. L’entreprise peut ainsi devenir, au quotidien et à sa mesure, actrice d’un changement sociétal profond souhaité et non uniquement subi jusque-là.
Charlotte Bosc : La qualité de société à mission implique l’application de sanctions par un organisme tiers et indépendant si les engagements ne sont pas tenus. C’est un moyen pour l’entreprise de montrer sa détermination à honorer ses engagements et s’en servir comme leviers d’action pour participer de façon mesurable à une mission sociale/environnementale réaliste et dimensionnée à l’échelle de l’entreprise. À travers son activité commerciale, elle apporte quotidiennement sa petite pierre à l’édifice.
Est-il possible de conjuguer engagement et stratégie d’entreprise ?
Corinne Thouvenin : En réalité, l’un ne va pas sans l’autre ! La « raison d’être » d’une entreprise, une fois bien définie à l’issue d’un processus d’intelligence collective avec toutes les parties prenantes, fait même véritablement office de boussole stratégique dans la prise de décisions. Il faut imaginer l’engagement comme étant totalement intégré à la logique commerciale, pour venir s’aligner avec la quête de sens des collaborateurs, le besoin d’éthique et de transparence des clients mais également de toutes les structures partenaires qui évoluent autour de l’entreprise.
Charlotte Bosc : C’est une chance d’offrir un positionnement clair à l’entreprise, un moyen d’éviter les conflits d’intérêt avec les différentes parties prenantes. Sur le long terme, cela donne un cap et peut être un moteur en termes de performance économique et extra-financière.