Depuis 1932, la famille Taittinger produit des vins de Champagne désormais reconnus dans le monde entier. Un héritage d’exception repris par Vitalie Taittinger en janvier 2020. Retour sur une année millésimée à plus d’un titre, pour cette ETI quasi-centenaire.
Dans une ETI familiale, les questions de gouvernance et de transmission sont fondamentales, et chez Taittinger ?
C’est un vrai sujet pour nous, toute notre histoire récente tient beaucoup à des questions de transmission. À l’époque où mon grand-oncle détenait Taittinger, rien n’avait été prévu pour sa succession. Quand mon père a réussi à ramener l’entreprise dans le giron familial, l’idée pour lui de ne pas reproduire le même schéma. Dès le début, il avait annoncé qu’il ne resterait pas plus d’une dizaine d’années, cela a été très structurant dans sa gouvernance : nous avons donc été formés, préparés en vue de cette succession. Chacun a dû mettre son talent au service de l’entreprise. Dans cette idée de complémentarité, il a suggéré pour cette nouvelle gouvernance l’idée d’un comex avec mon frère Clovis et Damien Le Sueur, tous deux directeurs généraux.
Comment apporter quelque chose de nouveau au sein d’une entreprise à l’identité aussi forte ?
Nous sommes assis sur un patrimoine qui nous dépasse et quand je parle de patrimoine, je parle de vins, de métiers, de terres, que nous cherchons à transmettre et valoriser.
Notre maison doit aussi se projeter dans le futur avec une forme de hauteur sur les sujets d’avenir, d’où l’importance des questions liées à l’environnement, à la RSE, à la communication et au marketing.
Taittinger s’engage pour une viticulture plus durable depuis une quinzaine d’années : comment cela se traduit ?
Dans cette identité Taittinger, notre trésor, c’est ce vignoble de 288 hectares. Une grande partie de la qualité de nos vins repose sur ce terroir. Nous n’avons pas d’autres solutions que de transmettre un patrimoine vivant en bon état, et c’est la raison même de notre engagement pour une viticulture durable.
Mon père a donné le premier cap, avec l’enherbement[1], qui impose un travail extrêmement physique, c’est un engagement corporel très fort de la part de ceux qui sont dans nos vignes. Il faut que cette terre soit vivante, c’est pour cela que nous faisons le maximum pour protéger la biodiversité autour de nos vignes. Nous essayons d’être extrêmement vertueux dans tous les traitements. Nous avons la certification « Haute valeur environnementale » (HVE) de niveau 3, ainsi que la certification Viticulture Durable en Champagne, reconduites l’année dernière, qui attestent la solidité de notre démarche.
Vous avez pris la tête du groupe quelques semaines avant le début de la crise sanitaire. Racontez-nous…
J’ai pris la tête de l’entreprise en janvier 2020. Pendant les deux premiers mois, j’ai continué à assurer les engagements liés à mon ancienne fonction de directrice marketing. Quand arrive mars, je suis déjà essoufflée. L’année 2019 a été dense. Nous commençons rapidement à sentir que cela devient sérieux, nous annulons un séminaire mondial, nous nous projetons déjà dans les impacts de cette crise. Le jour où le confinement est annoncé, nous ne sommes donc pas dans le rush. Notre première priorité, c’est de mettre en sécurité ceux qui travaillent pour Taittinger. Nous fermons la production et installons le télétravail pour les bureaux. La seconde priorité, c’est de mettre en sécurité nos vins. En moins de deux jours, notre personnel en cave a fait un travail extraordinaire et tout réglé. Seul le vignoble continue son activité et est réorganisé pour que nos salariés y travaillent dans le respect des conditions sanitaires.
Comment s’adresser à ses équipes dans un moment pareil ?
Nous avons rassemblé tout le monde et leur avons dit que nous étions face à un phénomène inédit, d’ampleur mondiale et que nous devions nous battre ensemble, faire des choses que nous n’avions jamais faites. Je dois avouer que je ne m’attendais pas à un tel soutien, une telle implication de nos équipes.
Nous avons décidé de ne pas recourir au chômage partiel parce que nous ne voulions pas d’impact sur les salaires. Nous avons transféré autant que possible ceux qui n’avaient plus d’activité vers nos vignes et nos caves.
Par exemple, dans notre service visite, une responsable, à quelques mois de sa retraite, nous a dit qu’elle ne pouvait pas rester chez elle et qu’elle voulait aller dans les vignes. À l’automne, quand son service a fermé à nouveau, elle est allée à la production, à l’habillage des grands flacons.
2021 c’est l’année des 10 ans de la loi Copé-Zimmermann sur la parité en entreprise, quel regard portez-vous sur le chemin parcouru par la vôtre et celui qui reste à parcourir ?
Pour que les choses évoluent, il était nécessaire de passer par une loi. Je trouve que ça porte ses fruits, de plus en plus de femmes arrivent à des postes mérités. Leur place, tout simplement. En revanche, je trouverais ça triste de faire des choix en fonction d’un genre, que des hommes n’aient plus accès à des postes ou que des femmes singent des hommes pour les remplacer. J’aimerais que les choses deviennent plus naturelles. Il faut que chacun porte sa place. Je dis cela car j’ai été baignée dans un monde d’hommes qui ont laissé leur place aux femmes.
Comment Taittinger se prépare à la reprise ?
Je nous vois comme des alpinistes à qui ils restent 100 mètres avant le sommet. Cela fait 15 ans que l’on tire cette entreprise pour l’amener au plus haut. Ce serait faux de vous dire que nous avions prévu ce qui se passerait en 2020, nous étions une machine lancée à toute vitesse, nous étions tous à 200 % pendant les 15 dernières années. L’année Covid a été une année de réflexion et nous sommes désormais complètement prêts pour les 100 derniers mètres vers un plus haut niveau d’exception, pour nos vins et notre viticulture.
[1] Alternative naturelle au désherbage chimique.