Bien qu’annoncée depuis maintenant plusieurs années, l’obligation d’adopter un système de facturation électronique n’est pas encore tout à fait assimilée par l’ensemble des entreprises françaises. Pourtant, c’est une question de seulement quelques mois avant que les amendes automatiques ne commencent à tomber, comme le rappellent les deux associés de RSM.
Lorsque vous aviez évoqué le projet de facturation électronique dans Objectif ETI, début 2022, vous aviez émis des recommandations pour les entreprises afin de se repérer face à cette obligation à venir. Se sont-elles généralement emparées du sujet depuis lors ?
Mathilde Jounot : Il faut bien reconnaître que toutes sont loin d’être prêtes, même si les plus importantes d’entre elles ont déjà fait l’effort de prendre les devants en ayant conscience de l’échéance de 2026. A vrai dire, le retard qui a pu être pris par les PME et les ETI résulte bien souvent du fait qu’elles ont été particulièrement perturbées par le flux très important d’informations en provenance d’éditeurs de plateformes, dont elles ont pu croire qu’ils seraient « compliant » le moment venu et qu’elles pourraient se tourner vers eux. Mais il se trouve que la réalité est toute autre.
De fait, on constate que nombre d’entreprises méconnaissent toujours les grands principes de cette réforme. Ainsi, toutes n’ont pas encore intégré l’idée que la facturation électronique ne pourra pas être gérée par l’envoi d’un document en format pdf et qu’il leur faudra également veiller aux cas d’usage, aux mentions sur les factures, etc.
En outre, elles demeurent souvent dans le flou en raison du fait que, parmi les quelque 110 plateformes que l’on peut dénombrer aujourd’hui, toutes ne seront pas agréées pour être utilisées dans le respect des nouvelles obligations. Il y a donc fort à parier que les entreprises feront face à un choix restreint en 2026, résultant à la fois des délais nécessaires à la conduite du projet d’adaptation et des refus dont elles pourront faire l’objet lorsqu’elles solliciteront un prestataire.
Cet environnement contraint nous a conduit à optimiser les missions que nous menons auprès de ces entreprises: nous procédons désormais à des premières analyses sur un délai maximal de 2 à 3 mois, en adoptant une approche pragmatique et globale qui permet aussi d’identifier les cas d’usage les plus importants, de sorte à pouvoir les guider vers la plateforme qui sera disponible le plus rapidement possible.
Mathias Crottereau : Nous sommes dans une phase où le choix de la plateforme va s’avérer essentiel, alors même que le goulot d’étranglement créé par les éditeurs se trouve renforcé par le fait que certains refusent désormais les entreprises qui éditent moins de 100 000 factures par an – alors qu’ils avaient fixé leur seuil à 20 000, il y a encore quelques mois.
Cette situation est assez difficilement compréhensible pour les entreprises : alors que leurs équipes internes se rendent compte de la nécessité de choisir un prestataire pour mettre en œuvre le projet interne d’adaptation, on estime qu’il n’y aurait que 40 plateformes agréés en propre – d’autres intervenant en « marque blanche » ou en « marque grise ». Pourtant, l’échéance de septembre 2026 approche : il n’y aura pas un énième décalage concernant cette obligation.
La question de la facturation électronique figure donc impérativement sur le haut de la pile des sujets à traiter ?
Mathilde Jounot : Absolument, car beaucoup d’entreprises ont pris conscience qu’elles font face à la nécessité d’avancer, d’autant que le même sujet se pose aussi dans d’autres pays – comme en Belgique, dès le 1er janvier, en Espagne et en Italie, qui ont renforcé leur dispositif, et bientôt en Allemagne. Toutes celles qui échangent avec des clients ou des fournisseurs à l’étranger, ou qui disposent de filiales dans ces pays, ne peuvent plus ignorer que leur quotidien sera très prochainement modifié par la facturation électronique.
Mathias Crottereau : D’ailleurs, depuis l’été dernier, l’administration fiscale et les experts-comptables ont sensiblement renforcé leur communication sur le sujet, faisant preuve de pédagogie et alertant sur l’importance du calendrier à respecter. En particulier, l’administration fiscale a prévenu que les entreprises qui n’auraient pas fait le choix d’une plateforme agréée en septembre prochain qu’elles recevront des amendes automatiques dès la fin de 2026.
Mathilde Jounot : Il faut en particulier avoir à l’esprit que les montants des pénalités ont été relevés et qu’ils pourront être prohibitifs. Celles-ci s’élèveront à 50 euros par facture qui ne serait pas électronique (contre 15 euros initialement envisagés), à 500 euros pour toute absence de e-reporting (contre 250 euros) et à 500 euros pour toute absence d’inscription à une plateforme agréée au cours des trois premiers mois suivant septembre 2026, puis 1000 euros tous les trois mois suivants.
Que faire si l’on pressent que l’on aura du mal à composer avec l’échéance du 1er septembre 2026 ?
Mathilde Jounot : Dans chacun des projets que nous menons actuellement, nous incitons les PME et les ETI qui commenceraient seulement à s’atteler à la tâche à procéder en deux phases : une mise en conformité réglementaire, avant d’envisager une optimisation du système mis en place. Tout en les alertant qu’elles risqueront très probablement de devoir traiter manuellement certains flux, même s’il reste encore quelques mois pour se mettre sur les rails.
Mathias Crottereau : Certaines ETI ont d’ailleurs déjà prévu de procéder à des tests grandeur nature dès le mois de janvier, pour s’assurer de la robustesse de leurs processus internes et pour mettre à profit le délai restant afin de les optimiser. Elles seront alors en mesure d’anticiper la prochaine étape, qui consistera à exploiter en interne les data collectées grâce à ces nouveaux modes de traitement… Ce n’est pas encore d’actualité, mais il leur faudra anticiper le fait que la DGFIP aura à cœur de s’y consacrer de son côté.


