Il fallait avoir une petite longueur d’avance et une dose de ténacité pour chercher à développer une filière de recyclage de matelas en 2010. C’est pourtant le pari qu’ont relevé les deux fondateurs de Recyc Matelas Europe, en procédant très méthodiquement. Zoom arrière sur ce parcours inspirant avec son président, Jérémy Settbon.
L’idée qui a présidé à la création de Recyc Matelas Europe semble évidente, mais il n’est jamais assuré de bâtir un business model viable dans le domaine du recyclage. Comment avez-vous procédé ?
C’est avant tout une histoire née d’une rencontre avec celui qui allait devenir mon associé, Franck Berrebi, pendant une année de césure post-bac passée à l’étranger. En s’inspirant du tout premier modèle économique de recyclage de matelas en Amérique du Nord, nous avons souhaité déployer une approche identique en Europe en 2009. Il nous a d’abord fallu auditer le marché au sens large du terme, des metteurs en marché aux opérateurs en traitement de déchets en passant par les pouvoirs publics, pour déterminer si la conjoncture était propice à l’émergence de notre métier. Or, un décret d’application était en préparation dans le cadre de la loi Grenelle 2 du 12 juillet 2010 pour rendre obligatoire le recyclage d’éléments d’ameublement. La conjoncture s’avérant favorable, nous avons donné corps à ce projet entrepreneurial.
De quelle façon avez-vous appréhendé cette question ?
Notre premier challenge était industriel : nous partions d’une feuille blanche pour concevoir une ligne de production automatisée permettant d’être en capacité de traiter des gros volumes – condition essentielle pour nous différencier de toute concurrence à venir. Nous nous sommes donc rapprochés de plusieurs acteurs industriels en France, afin de la structurer grâce à l’adaptation de machines existantes et l’élaboration de machines sur-mesure. En outre, il s’est agi de relever un défi de nature économique, puisqu’il fallait convaincre les collectivités locales et les acteurs privés qui, pour leur traitement, se tournaient alors vers des centres d’incinération ou d’enfouissement. Ce ne fut pas chose aisée, dans la mesure où le recyclage s’avérait plus coûteux… Il nous a donc fallu solliciter des proches pour obtenir les fonds nécessaires à notre maintien à flots pendant que la filière se déployait.
En 2012, nous avons reçu l’appui de Business Angels des Cités (devenu depuis Impact Partenaires), le tout premier fonds à impact actif en France qui investissait dans des quartiers défavorisés ou aux côtés d’entrepreneurs issus de ces zones. Par la suite, le soutien de France Active nous a également été utile dans la mesure où ils nous ont permis de faire la jonction jusqu’au moment où l’entreprise a pu enregistrer ses premiers bénéfices, en 2016.
Et c’est en juillet 2021 que nous avons accueilli Weinberg Capital Partners et Bpifrance en tant qu’actionnaires majoritaires. Avec leur soutien, nous faisions l’acquisition dix-huit mois plus tard d’Ecomatelas, le pionnier de la literie reconditionnée made in France.
Avec le recul, diriez-vous que l’environnement français vous a été favorable ?
À mon sens, la situation est assez contradictoire en France car on se trouve confrontés à un environnement où les banques expriment plus d’appréhension à prêter à un jeune qu’à une personne plus confirmée, ce qui oblige à rechercher des sources de financement alternatives. En revanche, d’un point de vue réglementaire, la France a été le premier pays à faire émerger le principe de la responsabilité élargie des producteurs (REP), qui est la traduction juridique du pollueur/payeur pour de nombreux produits. Cela a permis de donner naissance aux éco-organismes chargés d’assurer le financement du recyclage dans plusieurs secteurs, mais aussi de compartimenter les différentes parties de la filière (collecte/transport, tri, démantèlement/recyclage). Un événement fondamental qui nous a permis de nous positionner sur la dernière phase, puisque notre mission consiste à séparer les différentes fractions de matières, les conditionner de sorte à valoriser les matières premières à proposer à des industriels européens en mesure de les réincorporer dans la fabrication de leurs produits.
Avec nos 140 collaborateurs répartis dans cinq sites de production – dont quatre en France –, nous avons traité 34 000 tonnes de matières en 2024, d’autant que notre terrain de jeu s’élargit en permanence ! Comme le principe de la REP est en train d’être dupliqué dans une dizaine de pays européens, la taille de notre marché de prédilection est appelée à s’étendre et, en tant que précurseur de ce métier, nous avons vocation à y prendre notre part. Un autre levier de croissance potentiel consiste à jouer la carte de l’intégration verticale, en participant nous-mêmes à la production de certains produits finis issus de nos actions de recyclages.