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Frédéric Lescure (Socomore) : « Alors que nous pensions produire 1000 litres de gel hydroalcoolique, nous en avons livré 2 millions ! »

février 24, 21
3 min. de lecture

En mars 2020, Socomore, spécialiste du traitement des surfaces dans l’aéronautique, est devenu du jour au lendemain producteur de gel hydroalcoolique. Frédéric Lescure, PDG de l’entreprise située à Vannes (Morbihan), raconte cette reconversion éclair ainsi que les mois, plus difficiles, qui ont suivi.

Comment est née l’entreprise Socomore ?  Comment a-t-elle évolué depuis sa création en 1972 ?

L’entreprise a été créée en mars 1972 par Jean Bossuet, un chimiste de génie. En 1974, en plein plan de Jacques Chaban-Delmas pour sortir l’industrie de Paris, une partie du secteur aéronautique est décentralisée à Nantes et St Nazaire.  Sud Aviation (un des ancêtres d’Airbus) choisit alors Socomore comme sous-traitant. La mayonnaise prend rapidement et dans les années qui suivent, Jean Bossuet adapte un nombre incalculable de produits chimiques destinés à entretenir les surfaces des avions, principalement en provenance des États-Unis.

En 1998, j’ai découvert cette entreprise et je l’ai rachetée. Nous étions 27 à l’époque, pour un chiffre d’affaires de 3 millions d’euros. En 2019, le chiffre d’affaires était passé à 70 millions d’euros et nous étions près de 300 salariés, dont un gros tiers à l’étranger. L’entreprise a pu profiter de l’incroyable image de l’aéronautique française dans le monde. À l’étranger, si vous vendez du vin, du parfum ou de l’aéronautique et que vous êtes Français, vous êtes crédibles ! Et quand vous êtes le fournisseur principal d’Airbus/Safran, vous l’êtes encore plus. C’est d’ailleurs principalement grâce à Airbus que nous avons pu accélérer notre développement au cours des années 2000, nous avons suivi son sillage.

Comment avez-vous réussi à vous réinventer au tout début de la crise sanitaire ?

Il faut rappeler qu’avant le covid-19, l’aviation venait d’être frappée par la crise des Boeing 737-Max, qui avait considérablement impacté notre activité. Moins d’un an après cet épisode, tout le secteur se retrouve intégralement à l’arrêt…

Cela aurait pu être dramatique pour l’entreprise, mais le lendemain du début du confinement, je reçois un appel du préfet du Morbihan. Celui-ci me dit qu’il a besoin de gel hydroalcoolique pour l’hôpital de Vannes. Je réunis alors mon équipe et nous nous rendons compte que l’on a tout ce qu’il faut pour en produire : les produits, les machines, les autorisations. Tout, sauf de l’alcool. La brasserie Lancelot nous livre 1 tonne d’alcool, soit de quoi produire 1000 litres de gel. Nous aurions dû payer des taxes énormes sur une telle commande mais l’administration française nous a déroulé le tapis rouge et ce qu’ils ont fait pour nous en deux jours a été impressionnant. Dès le mois de mars 2020, nous avons donc dû faire revenir nos équipes dans les usines en pleine psychose Covid. Nous avons embauché une vingtaine d’intérimaires et fait passer toutes nos équipes aux trois-huit. Alors que nous pensions produire 1000 litres de gel, nous en avons livré 2 millions. Nous avons reçu des commandes de toute la France et nous sommes devenus en quelques semaines le plus grand « trafiquant d’alcool breton » !

Est-ce que cette reconversion expresse sera suffisante pour traverser cette crise sanitaire ?

Cela nous a assuré une quantité suffisante de cash pour traverser 2020. Toutefois, vers le début de l’été, la dure réalité est arrivée, une fois que le marché était saturé : nous n’avions plus de commandes de gel et plus de commandes en aéronautique. Nous avons donc dû réorganiser le groupe, fermer trois sites, licencier 10 % de nos salariés (essentiellement aux USA). L’activité partielle de longue durée nous a cependant permis de sauver de nombreux emplois en France et de limiter les licenciements autant que faire se peut. En deux mois, avec cette réorganisation, nous avons arrêté de perdre de l’argent et nous avons fini l’année bien mieux que ce que l’on imaginait en juillet.

Est-ce que vous souhaitez continuer à diversifier votre activité ?

Nous voulons tout faire pour pérenniser notre position dans la désinfection. C’est pourquoi nous avons repris (avec une partie des investisseurs historique) Salveco, une entreprise située dans les Vosges, devenue leader dans la désinfection à partir de végétaux. Avancer sur un deuxième secteur d’activité nous permet d’équilibrer notre base et de maintenir notre capacité de rebond, en attendant que l’aéronautique ne reparte.

Quels seraient les conseils que vous donneriez aux autres entrepreneurs également confrontés à la crise actuelle ?

La crise que l’on vient de vivre, personne ne l’avait prévue. Cela nous a appris que les scénarios de crise ne servent à rien. Il faut s’entourer de la meilleure équipe de management possible. Ce sont les gens proches de vous qui vont vous permettre de traverser cette épreuve. Si nous avons pu nous réinventer aussi vite chez Socomore, c’est parce que nous avions confiance les uns dans les autres.

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